Ma charge émotive, mon état de dépassement

L'art abstrait naît début XXÈME siècle  avec Kandinsky, Mondrian, Malévitch.
 
La réalité n'est plus liée à la forme ou à l'ornementation stylisée, schématisée de la forme. Cela sous-entend que l'abstraction est une réalité par elle-même, un point de départ et un point d'arrivée avant l'apparition de la forme figurative . Elle n'est ni inférieure ni supérieure pas plus un préliminaire ou faisant partie d'un processus de l'épuration de la forme humaine et même, de la forme géométrique.
Alors si la forme n'est plus, peut-on parler d'art informe, informel et qui plus est, s'il s'y trouve du geste, de l'expression de couleurs en "forme" de tâches ou de traits courbes, anguleux, continus ou autres, est-ce de l'art lyrique, expressionniste ? Un art qui est libre et qui ne signifie rien?
Est-ce que la copie rend libre ou est une expérience qui appauvrit l'idéal esthétique ?
Je ne prévois pas, je ne visualise pas, je ne choisis pas, il n'y a pas de sujet.  Qu'est-ce qui influence mon envie de peindre, de faire, de réaliser l'espoir d'arriver ou de cheminer vers un absolu? Je me persuade que c'est essentiel pour ma survie spirituelle car cela m'aide à saisir, fixer aussi, ce qui m'absorbe, ce qui entre en révolution en moi. Moi et mon étroitesse d'esprit . Je ne domine pas le monde en reproduisant la Nature, je ne me domine pas davantage. En général je peins quand je n'ai pas peur de ce temps à rattraper, ce temps qui file inexorablement. Ni les Dieux, ni les idées  ne me détournent de mon réel lequel n'est jamais stable. Je peins de l'intérieur sans les entraves de la forme mais avec tout le reste.


Ma charge émotive, mon état de dépassement, ma routine de peintre, ma petite idée du Beau, de l'harmonie, toutes les données qui permettront d'envisager une construction, un agencement, une composition, finalement je ne m'interdis pas l'accidentel ou le contrôle. Il y a bien quelque chose de définissable et même de référençable qui va apparaître car je ne pars pas de rien. C'est tout le problème après un siècle d'abstraction. Ce à quoi j'aspire n'est rien d'autre qu'un absolu irrationnel où je décide de ne pas trop définir ce qui balbutie, s'ordonne avec logique ( des jeux de contrastes, des variables sur la nature de mes traits, surfaces et direction de mes gestes), chavire, rate, se complique quand je ne trouve pas à m'arrêter.
Ne faut-il pas tout le temps s'éloigner de sa façon de peindre? Ce qui se déploie devient ce qui existe; ce qui existe témoigne des endroits qui n'ont pas de frontières. J'ai commencé la peinture avec Dada et le Surréalisme en associant, dissociant, transgressant les académismes de toutes sortes.
J'en reviens vite, au geste humain qui conditionne mon engagement . Je plaide ma cause d’être respiratoire, postural, spirituel, spéculateur, social, inscrit dans l'espace et le temps de l'histoire de l'humanité .
Je vois ma difficulté à lutter contre de l'intelligence utile ... Je voudrai que mes moyens soient pauvres et en même temps puissants. Je veux arriver à saisir mon intelligence intuitive, celle qui connaît le chemin. Quand j'ouvre la voie avec une couleur bleu-vert foncé je suis agit par son mystère . Elle trace un sillon, attire dans son creux. J'ai mis du jaune citron qui brûle les yeux. J'ai peint au dessus du haut de la tranche du tableau pas face au plan. Je ne veux plus être limité par une posture, un cadre, je ne veux plus être confronté aux résistances du tableau. L'approche constitue un préambule; je suis libre de mes tableaux, j'atteindrai ce qui s'exerce sur moi.
Je ferai une peinture à la portée de moi-même faisant chanter, danser la ligne, au delà de la parole, quelque chose "d'organiquement nécessaire" nous dirait Kandinsky.
Il y faut trouver le vivant en moi. 


Je ferais une peinture qui ne sera pas maîtrisée à l'avance.


Mais finirai-je par me lasser de ne plus satisfaire ce qui se libère? Je ne cherche en rien l'épure ni à accéder à l'ordre. Je ne veux pas fuir mon désordre initial, ma naissance et ma mort confondue; je me débats dans l'ordre de l'univers pour ne pas devenir un non vivant.
Sur le chemin la mort du vieil homme,   le tintement des épées, une pierre percutée, un être de lumière épris de la notion de perfectibilité.
Du désordre faisant naître l'ordre et transmuer le grossier en subtil.
A chaque tableau, je garde le grossier, je garde le désordre , je garde le vieil homme. Je n'élimine pas, n'élague pas le surplus qui étoufferait, alourdirait la composition . Je compose avec, je suis en sympathie, yin et yang.
Que dois-je vivre quand je peins, rien si ce n'est de peindre avec de la peinture? Matérialité de toutes les matières utilisées et posture, geste, élan, non pas désir de bien faire mais envie de vivre un cheminement où peuvent se rassembler ce qui est épars, le grossier de la matière non travaillée et la subtilité de l'esprit qui met en partage tous les êtres sensibles.
La peinture ne se déleste pas de la réalité, sa finalité est pour moi de rendre compte du vivant. Je ne rejette rien, ne transcende rien comme le ferait Malévitch. Son œuvre trace un monde sans objet du réel, pas même le geste du peintre, elle ne rend plus compte de la personne. Un carré blanc sur fond blanc est pourtant une forme rationnelle, humaine. Si la peinture ne rend plus compte de ce que ressent la personne qui peint, s'il n'y a plus de formes, plus de couleurs, plus de trace d'outils, plus de haut, de bas, plus de contexte, d'ambiance, plus de peinture?
La beauté du vivant d'une montagne se vit par l'expérience humaine de la vision, de la marche ou d'un dessin. L'autre versant plus sombre consisterait à considérer la nature comme le résultat de catastrophes successives où les lois esthétiques n'ont pas leur place. Mondrian n'aimait pas le vert, Malévitch n'aimait pas tout ce qui était objet de spéculation. Ce dernier combat le morcellement de toutes les choses qu'on nomme et qui pourtant ne nous appartiennent pas. Nous voulons tout embrasser, nous n'embrassons rien. Ce Rien est dévoilé dans son carré blanc. Sans poids ni lutte. Silencieux.
Je pense à Duchamp qui devait penser plus les arcanes de sa pensée et en l'occurrence, au moyen de se passer du geste laborieux du peintre, et plus précisément de l'exécution artisanale de la peinture. Peindre est un engagement complet, une conquête sur la fiction du réel, cette illusion que je tente de dépasser. A l'instar du mouvement Support-Surfaces, j'appréhende dans mon avancée la toile tridimensionnelle, la face plane et ses côtés, ce qui sous-entend que je me passe d'encadrement . Contre quoi lutte t-on?


J'ai entendu une émission sur Bram Van Velde (France Culture) que je retranscris car ses propos m'ont marqué: "L’important c’est de n’être rien, être à l’écart des mots et des représentations mentales, dit le peintre. Quand je n’ai pas de lumière en moi, je ne peux pas peindre. On flotte, on flotte mais on ne peux pas agir. Rien ne peut se faire."
J'aime quand il dit "J’arrive de mieux en mieux à mal peindre…"
"Si on n’arrive pas à montrer ce qui est en nous, il faut se voir ; un tableau c’est ce qu’on est devenu. Tout est fragile. Un état où on s’approche de sa vraie vie. Rien n’est fixé. On respire, on vit sa vie."


La peinture de Rothko aime la couleur mais engloutit la réalité du geste, sépare les masses, met du "mou", du "vaporeux"

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